Le marquage symbolique de l’espace urbain et la mémoire de la seconde guerre mondiale à travers les noms des rues, 1943-1993

MAZEAU Guillaume, Le marquage symbolique de l’espace urbain et la mémoire de la seconde guerre mondiale à travers les noms des rues, 1943-1993, Maîtrise [Antoine Prost], Univ. Paris 1 CRHMSS, 1997, 225 p.

L’étude de la mémoire des rues a fait apparaître trois périodes distinctes. La Libération (1943-1946) s’impose comme le premier et principal miroir déformant : brève, mais riche, elle fut teintée d’unitarisme autour du deuil, de la fête de la fin de la guerre et des espoirs nouveaux suscités par le concept de résistance. Elle vit aussi la constitution de la mémoire communiste.

La guerre froide et le moment gaullien (1947-1972) ont plutôt consacré un cloisonnement politique et social du souvenir. Cette organisation — chère à M. Halbwachs — a accompagné une répartition plus réfléchie du souvenir dans le décor urbain. Elle a en tout cas provoqué des conflits politiques comme l’a montré G. Namer dans Batallles pour la Mémoire. La Commémoration en France de 1945 à nos jours, Papyrus, 1983. Après I’effondrement de la mémoire communiste, le discours gaulliste a pu s’épanouir à travers une mythologie résistancialiste rassurante. L’exemple de Jean Moulin a montré que le souvenir officiel n’a vraiment été accepté que quand il répondait à une demande. Après 1973, la mémoire des rues a connu un essoufflement quantitatif, un morcellement et un renouvellement qualitatifs : l’ouverture du corpus dénominatif et le réveil de la mémoire juive en témoignent. Au fond, cette chronologie suit à peu près celle de H. Rousso même si les noms de rues ont fait preuve d’une ambiguïté spécifique, doués à la fois d’une hypersensibilité à l’actualité et d’une lourde inertie. Le regard rétrospectif a d’abord montré toute la diversité de la mémoire des rues : si les noms sont homogènes sur le territoire français, les acteurs de mémoire ont souvent tenté de s’approprier le souvenir national. Dans son article sur le nom des rues, D. Milo avait fait de la capitale l’inconditionnelle initiatrice des dénominations au niveau national ; en ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale, Paris s’est, semble-t-il, plutôt borné à accompagner ou parfois à cristalliser un mouvement d’ensemble. Cette partie a aussi interrogé les usages symboliques de l’espace urbain, lieu de confrontation des identités sociales : le choix des voies publiques selon leur histoire, leur taille, leur situation et leur fréquentation touristique et socio-professionnelle organisent les mots et la syntaxe de plusieurs types de discours. Car si les contraintes matérielles ont joué un rôle, elles ont souvent pu être contournées.

Les conclusions surprennent peu : la mémoire des rues a célébré une France résistante et victorieuse. L’originalité des noms de rues a donc plus porté sur l’organisation de la mémoire en tant que support des représentations spatiales du social et du pouvoir : en transposant les dissensions nées de l’Occupation sur un plan symbolique, la mémoire des rues a, d’une certaine façon, participé au traitement du syndrome. Elle a d’autre part permis l’intégration d’une période peu glorieuse au syncrétisme national et républicain : le mythe fondateur a rassuré les Français et légitimé les régimes ultérieurs, car il a donné un sens à l’histoire.

Un regret : celui de ne pas avoir pu aborder les monuments et des autres lieux du souvenir, ce qui aurait été l’occasion de travailler sur un des éléments de la symbolique républicaine étudiée par M. Agulhon.

Les limites de notre travail semblent porter sur les sources utilisées : les grandes villes sont-elles représentatives de la mémoire nationale ? Le caractère elliptique, répétitif et semi-officiel des baptêmes de voies publiques ne restreint-il pas la portée de nos conclusions ? Les lacunes de certaines sources invitent enfin à la prudence et à l’autocritique.