WALDMAN David, Le Marais pendant l’Occupation. Le quartier Saint-Gervais à travers les répertoires analytiques, Maîtrise [Jean-Louis Robert, Denis Peschanski, Claire Andrieu], Univ. Paris 1 CHS, 2002, 167 p.
Les répertoires analytiques, désignés couramment comme « mains courantes », sont des instruments de travail essentiels pour la police. Dans ces registres, les policiers consignent scrupuleusement chaque fait survenu dans le quartier et les plaintes et les dépositions de ses habitants. Cet outil est par conséquent devenu essentiel à l’historien dans la mesure où, utilisé en tant que source, il permet d’aborder l’étude d’un quartier en faisant ressortir des acteurs souvent sous-représentés dans les sources habituelles. Ici, en effet, point d’hommes politiques ni d’intellectuels, mais plutôt des commerçants, des travailleurs, des vagabonds, des concierges… en somme les individus qui vivent dans le quartier ; et comme cadre, le bistrot, la cage d’escalier et le trottoir.
C’est donc sous l’angle d’une micro-histoire, et nécessairement à travers le prisme des répertoires policiers, que nous avons consacré un travail au quartier Saint-Gervais pendant l’Occupation. Situé au cœur du Marais, c’est-à-dire au centre-est de Paris, côté rive droite, ce quartier est depuis la fin du XIXe siècle l’un des regroupements privilégiés de la population juive immigrée d’Europe de l’Est, et dans une moindre mesure, d’Afrique du Nord. Les débuts de la Seconde Guerre mondiale vont troubler la population du quartier, d’autant que les premières mesures consécutives à la défaite française vont concerner prioritairement le sort des Juifs. Les propos défaitistes, la hausse des condamnations pour état d’ivresse, les enquêtes d’aliénés sont autant de signes témoignant d’une dégradation de l’état moral des habitants du Marais. L’arrivée des Allemands signifie, dans le quotidien, une coexistence forcée et, de temps à autre, des dérapages incontrôlés et des abus de la part des occupants.
Les conditions d’armistice et la situation de guerre conduisent inexorablement à la pénurie alimentaire et énergétique. Les innombrables fraudes et délits liés au rationnement placent au premier plan des préoccupations les Parisiens la question des restrictions : se nourrir, se vêtir et se chauffer.
À la Libération, les soldats américains seront les nouveaux acteurs du marché noir parisien.
Le Pletzl, le quartier juif, va quant à lui subir les mesures édictées par l’État français et l’occupant : les consignes de recensement, les mesures contre les commerces juifs et les diverses discriminations, avant d’être victime des grandes rafles et des déportations. Depuis septembre 1940, jusqu’à la fin de l’Occupation, les Juifs iront pourtant se déclare comme tels ou solliciteront la police pour les affaires les plus urgentes : déclarer une perte de papiers d’identité pour ne pas vivre dans la clandestinité, un vol de carte d’alimentation pour pouvoir subsister… Les rares incidents recensés indiquent néanmoins que, jusqu’en mai 1941, c’est-a-dire avant les premières grandes rafles, les Juifs du quartier supportent relativement les décrets antisémites et discriminatoires. Il découle forcément de ces mesures une paupérisation inéluctable.
À partir de mai 1941, la population juive du quartier va être l’une des cibles parisiennes privilégiées des arrestations et des rafles. À la fin de la guerre, le Pletzl sera littéralement décimé et devra difficilement affronter les retours des Juif libérés. Les questions de trafics de biens Juifs, de relogement, de pillages, sont autant de préoccupations pour lesquelles la police sera sollicitée.
Les répertoires de la Libération témoignent de l’épuration spontanée engagée par les habitants du quartier et épaulés par les policiers qui, quelques semaines auparavant, participaient encore activement à la politique de collaboration.
La Libération permet également de revenir sur nombre d’affaires survenues durant ces quatre années noires. Cette source consacrée au délit et à la plainte apporte enfin une vision contrastée des « héros » de la Liberation. Les nombreux dérapages commis par des soldats américains et par des FFI envers la population du quartier, donnent un regard nuancé sur les « beaux jours mythiques » de la Libération.